Tor Des Glaciers 2022

Une magnifique aventure aux limites

Un moment déjà que cette course m’attire. Elle a démarré en 2019 pour le dixième anniversaire du Tor des Géants, cette course de 330 km qui fait le tour de la vallée d’Aoste au départ de Courmayeur. Le Tor des Géants est probablement le 200 miles le plus connu mondialement avec environ 1.000 participants.

Pour faire le Tor des Glaciers, il faut avoir réussi le Tor des Géants en moins de 130h. J’ai couru le Tor des Géants en 2018 en 103h et suis donc éligible.

Le Tor des Glaciers est un sacré morceau:

  • 450 km pour 33.000 m de dénivelé positif
  • Sur un itinéraire non balisé, donc en orientation gps
  • Avec des refuges sur le chemin pour dormir et manger, plus 3 bases vie (où on récupère un sac préparé), `Cogne, Donnas et Gressoney-Saint Jean
  • Un terrain en partie très technique (chaos de pierre, passages de cols aériens, via ferratas,…)
  • Un nombre de participants limité à 200

Bref sur le papier, c’est alléchant, mais aussi très impressionnant – terminer ce monstre de course va être le premier challenge.

J’ai pu reconnaitre environ 25% du parcours (de La Thuile à Cogne) fin juin lors de 5 jours d’entrainement très sympathiques avec les amis traileurs que je salue au passage Jef, Christophe, Félix, Seb et Arnaud et cela aidera bien sur la partie jusqu’à la première base vie.

Les 15 jours d’avant course seront marqués par des problèmes dentaires qui ne sont pas loin de compromettre ma participation avec l’infection d’une racine qui nécessite une prise d’antibiotique et finalement un arrachage de dent à 8 jours du départ. Heureusement, cela cicatrise plutôt bien et donc moyennant une procédure d’hygiène dentaire renforcée pendant la course – et des antibiotiques dans mon sac au cas où, je peux prendre le départ. 

Courmayeur – Cogne (1ère base vie) : 160 km – 12.100 m de D+ – 11.180 m de D-

Départ Vendredi 9 septembre – 20h 

Le départ est lancé dans les rues de Courmayeur. Toujours un moment particulier : l’excitation de s’élancer vers l’inconnu, l’aboutissement de plusieurs mois d’entrainement, l’incertitude sur comment le corps va réagir, l’angoisse de devoir s’orienter sur 450 km (déjà fait en équipe sur 300km, mais jamais seul), une grande humilité devant les chiffres de cette course, la concentration … Une belle foule est présente pour encourager les 160 coureurs. Mes parents sont venus de Chamonix, ils me retrouveront à chacune des trois bases-vie. Thierry que je connais du Tor des Géants – nous avions fait un bout de nuit à marcher ensemble – et de la Swisspeaks est également présent – nous avons à peu près le même niveau et je le retrouve toujours avec beaucoup de plaisir sur les courses.

Je filme le départ et laisse tomber mon téléphone – compliqué de faire 2m à contre courant dans un foule de coureurs qui va dans l’autre sens, mais je le récupère finalement intact.

La première montée à la nuit tombante est vite avalée. Les sensations sont bonnes, je fais attention à ne pas m’emballer et je me force à ne pas dépasser les 900m/h en montée.

Je suis plutôt aux avant postes dans les 20 premiers je pense et je me retrouve à faire route avec un italien très sympa avec qui on discute bien. Sergio est un vrai montagnard, il est guide et même instructeur de guide et a terminé dans le top 10 l’année dernière.

Au refuge Maison-Vielle au bout d’une heure, il se change et je ne m’attarde pas. Je fais bientôt route avec Sebastien, un français qui vit à La Réunion. Nous avons le même rythme et sympathisons bien, même si nous sommes loins d’imaginer à ce moment que la course sera une aventure partagée puisque nous nous recroiserons plusieurs fois avant de ne plus nous quitter jusqu’à l’arrivée. Nous sommes doublés par un indien qui a une technique intéressante – il sprinte dans les descentes – nous nous demandons comment il tiendra 450 km, et d’ailleurs nous le reprenons assez vite.

Au refuge Elisabetta vers 22h45, je prends une petite soupe rapide mais sans m’asseoir, et je repars pour la montée du col Chavanne – je prends un mauvais chemin, heureusement sans conséquences – je perds seulement 5 min, mais cela promet pour la suite car c’est la première fois que j’ai à vraiment m’orienter.

J’arrive au Col Chavanne à 2.600 m d’altitude peu avant minuit dans un froid glacial et enchaine sur la descente pour La Thuile (1.444 m), dans laquelle je fais route un moment avec Tian un sud-africain qui vit à Guernesey et terminera la course 2ème ex-aequo – nous doublons quelques coureurs dans la descente et nous repartons de la Thuile en un petit groupe de 4-5 coureurs, mais je décide de me fier à mon allure et en laisse filer quelques uns – le rythme est trop élevé. Deux heures de montée pour le refuge Deffeyes que je rejoins à 3 heures du matin.

Je m’y arrête 20 min et avale une soupe et une assiette de pates vraiment pas fantastiques (j’ai déjà connu bien mieux dans ce refuge déjà traversé de nombreuses fois en courses) – qui ont d’ailleurs du mal à passer. Je connais de la reconnaissance la montée qui suit, alors les quelques passages aériens avec des chaines sont traversés sans perdre de temps, malgré la neige qui s’est mise à tomber et j’atteins le Col Planaval (3.016m) 1h30 plus tard. 

La descente qui suit est un des passages très techniques de la course – c’est un horrible éboulis de grosses pierres dans lesquelles il faut trouver son chemin. C’est délicat de jour par beau temps, alors de nuit avec 2 cm de neige et un vent glacial, c’est très compliqué. Les pierres sont ultra glissantes et peu stables, je tombe plusieurs fois. Cela se fait en partie à quatre pattes quand c’est trop glissant. 

Et soudain j’entends « par ici, Olivier » – c’est Sergio le guide rencontré plus tôt qui connait très bien le passage. Je me mets dans sa trace et l’allure doit a peu près doubler et nous finissons par venir à bout de la partie technique de cette descente. 

Au village de Planaval – 1.500m plus bas, que j’atteins à 6h50, la famille de Sergio est venue l’attendre pour le petit-déj, alors j’enchaine seul sur la remontée au refuge Degli Angeli (2.916m).

J’ai toujours un bon rythme dans la longue remontée de 1.450m de D+ sur 11km, mais je sens que la nuit a laissé des traces. 

En arrivant au refuge, à 10h du matin, je suis pris de frissons qui secouent tout mon corps – impossible d’avaler quoi que ce soit, mon ventre est barbouillé. Probablement le vent glacial de cette nuit. Les frissons ne stoppent pas – je demande à me coucher et je mettrai 30 min sous deux couvertures pour maitriser les tremblements. Je n’arrive à rien manger, je sens que cela ne passe pas.

Je me fais violence pour repartir, heureusement sous le soleil qui fait comme toujours un bien fou, mais je sens qu’il va falloir gérer – après seulement 15h de course…

Je fais la descente derrière un français Jean-Marc avec qui j’échange quelques mots et rattrappe bientôt un groupe d’une petite dizaine de coureurs qui m’a passé pendant mon long arrêt et je me cale derrière pendant la longue traversée jusqu’au lac San Grato – magnifiques paysages.

Dans la descente qui suit, je rattrape un petit groupe avec Luca Papi et un roumain, Claudiu (4ème l’année dernière) et nous partageons un coca au café qui se situe avant la remontée vers le refuge Bezzi. Nous croisons Jeff Bomberger (que je connais du Tor des Géants 2018) et qui cette année assiste sa femme sur le Tor des Géants et tapons une petite discute dans la remontée qui se fait à rythme tranquille.

Vers la fin de la montée Luca accélère et je ne le reverrai plus  de la course – il se connait et gère sa course de manière exceptionnelle. Chapeau !

30 minutes de pause au refuge Bezzi où j’essaie sans trop de succès de manger une soupe- puis je repars seul pour le col Barassac Dere (3.082m) vers 16 :00 – 800 m de montée très technique avec plusieurs coups du berger qui me prendront 1h45– cela aide d’avoir reconnu le terrain fin juin.

800 m de descente, technique au départ puis plus roulante et voilà le refuge Benevolo – le gérant du refuge – vu pendant la reconnaissance faite sur cette partie avec les amis fin juin – me reconnait et m’accueille, très sympa – la salle est pleine de randonneurs. Je sens que je suis toujours barbouillé – j’essaie quelques pates mais je dois demander une bassine avec… car cela ne passe toujours pas. Cela devient préoccupant car je sais qu’il faut faire rentrer des calories pour éviter la fringale. Mais bon là rien à faire, ça ne veut pas

Je repars peu après 19h pour le col Rosset (3.025m). A nouveau 800 m de montée – la fin est très raide et très technique dans un éboulis de fines ardoises. La nuit est tombée et le chemin n’est pas évident à trouver, je rate un virage et me retrouve à monter droit dans la pente, pensant retrouver le chemin quelques mètres plus loin – il n’en est rien, et je me retrouve à escalader en m’aidant des mains. Manque de lucidité j’aurais du faire demi-tour après quelques mètres, mais après 20 m de montée, je me rends compte que la descente est trop dangereuse (ardoises très instables dans une forte pente) alors je continue en mode escalade jusqu’au sommet puis dois parcourir plusieurs centaines de mètres sur une arrête pour rejoindre le col. J’aperçois une lampe sur le chemin en contrebas et rejoint le coureur au col – il se demande d’où je débarque. Je perds 30-40 minutes mais surtout beaucoup d’énergie dans l’histoire

Je fais à bonne allure la descente vers le refuge – je suis vigilant sur le chemin car il fait nuit et je me souviens de difficultés à trouver le chemin pendant la reconnaissance. Mais aucun problème – c’est la premiére partie agréable de la nuit, le sommeil ne se fait pas encore sentir. J’arrive vers 22h30 au refuge Savoia et je demande à nouveau une soupe… et une bassine.

Je commence par la soupe, mais cette fois-ci je remplirai la bassine en plusieurs fois. Moment désagréable, mais apparemment nécessaire car après cela ira beaucoup mieux,  mes problèmes seront réglés et je pourrai reprendre des forces. Je m’allonge un moment pour me remettre et repartirai peu avant minuit avec Claudiu, le roumain très sympa déjà rencontré plus tôt – nous ferons toute la descente vers Valsavarenche ensemble, puis les 800 m de remontée vers le refuge Vittorio Emmanuele.

Dans la montée, le sommeil me tombe dessus et je dois vraiment m’accrocher pour rester dans ses pas et ne pas me coucher sur le bord du chemin. Je titube de sommeil.

Il est presque 3h du matin quand enfin nous atteignons Vittorio Emmanuele et je demande directement le dortoir pour 2h. 

Au réveil, je tombe sur Sébastien, rencontré plus tôt, et après avoir avalé un petit déj rapide nous décidons de repartir ensemble. Traversée d’un peu moins de 2h pour le refuge Chabot atteint à 7h, magnifique lever de soleil sur le Grand Paradis, café et tarte au petit-jour, c’est royal. Au moment de repartir, Thierry arrive, ça fait plaisir de le voir. Je repars avec Sébastien pour 500 m de montée vers le Passage du Grand Neyron, discussion sympa dans la montée – comme toujours avec le jour qui se lève, l’énergie est bien revenue et la montée passe bien. La via ferrata de la descente a été bien équipée et les cordes et échelles sont vite franchies – le guide présent sur place nous fait juste un coucou.

Petit pierrier en descente et nous rejoignons la (terrible) montée vers le col Loson, le point culminant de la course à 3.299m. Sébastien m’annonce qu’il a besoin de ralentir un peu et j’attaque la montée seul. Le soleil est là et grosse pêche pendant toute la montée. Malgré mon bon rythme, je vois un concurent qui a passé Sébastien et revient sur moi. J’accélère un chouya, histore de ne pas me faire passer dans la montée– aucune importance au niveau compétition, mais pas bon pour le moral (surtout quand tu es plutôt dans une bonne phase).

Au col, je tombe sur Cécile, la compagne de Thierry, puis dans la descente vers le refuge Sella sur ses parents – je les connais de la Swisspeaks. Je leur dis que Thierry ne doit pas être loin derrière – erreur car terrassé par un coup de froid (suite aux nuits glaciales), il mettra 3h à arriver et devra abandonner. Refuge Sella, dimanche 12:50 c’est l’heure du déj, je m’octroie 20 minutes d’arrêt et mange des lasagnes succulentes avec un grand appétit retrouvé.

Suivent 18 km de longue descente pour partie technique puis à la fin très roulante jusqu’à la première base vie de Cogne où j’arrive peu avant 17h, soit après 45h de course. A peine plus du tiers de parcouru, cela fait peur…

Ma maman m’attend dans l’entrée du village et nous parcourons ensemble les quelques centaines de mètres qui restent jusqu’à la base vie où attend mon papa. Vraiment sympa de pouvoir échanger avec eux après ces deux jours en montagne et de sentir leur soutien. Douche, repas, réapprovisionnement du sac, l’arrêt durera 1h20.

Cogne – Donnas : 66 km – 5.670 m D+, 6.870 m D-

Je quitte la base vie vers 18h et entame seul la montée vers le refuge Grauson – 8km et 1.000m de D+. Petit coup de fil à la maison dans la fin de la montée – cela fait du bien. J’y arrive à la (troisième) nuit tombante vers 20h30 et je prends un café et une délicieuse part de tarte maison. L’équipe du refuge est très accueillante.

Je repars pour le refuge Miserin. Pas de grands souvenirs de cette portion qui passe par le Pas des Invergneux à 2.900 m d’altitude et la fenêtre de Champorcher, si ce n’est qu’il fait froid, que l’orientation est compliquée et nécessite beaucoup de concentration et que c’est interminable. J’arrive après 4h frigorifié et bien fatigué au refuge Misérin. Un autre coureur est présent : John, un docteur américain sympa que je reverrai plusieurs fois. C’est un refuge petit et très simple, le tenancier est sympa et je m’écroule vite sur une couchette pour presque 2h de repos mérité. Au réveil à 2h30 du matin, rien à manger alors je repars pour le refuge Dondena qui n’est en fait qu’à 30 min de descente – en route je rejoins Sébastien qui m’a dépassé pendant que je dormais, qui est bien fatigué et dormira à Dondena. Je m’arrête une heure pour manger et discute avec le frère de John qui lui fait l’assistance et Stéphanie Case, traileuse bien connue et amie à eux – qui a terminé 3ème au scratch l’année dernière. Je ferai le yoyo avec John jusqu’à Donnas et nous taperons plusieurs fois la discute.

Je repars vers 4h du matin de Dondena pour 1h de descente jusqu’à Chardonney 700 m plus bas et 6 km plus loin. Le jour se lève dans la montée qui suit et l’énergie revient comme toujours avec le soleil. Et heureusement car la fin de la montée et la descente qui suit sont un vrai chantier : pierrier de gros blocs, très pentu. Les 1.000 m de montée sur 10 km jusqu’au col Fricolla me prendront … 3h40, ce qui donne une idée de la difficulté du terrain. Et il me faudra encore presque 3h pour faire les 9km de descente qui suivent sous un soleil de plomb. Il faut rester très concentré pour ne pas se tordre une cheville. 

Je suis content d’arriver finalement vers 11h30 au dortoir Retempio. La dame qui tient le dortoir est très accueillante – je commence par dormir 20 min dans un des lits qui sont dans la salle où on mange aussi, puis me régale d’un bon repas. Le frère de John est là, ainsi que Carole Pipolo que je connais de la PTL et qui assiste un coureur. John arrivera peu avant que je reparte.

Mon GPS est complètement perdu  – il me positionne à plus d’1 km de là où je suis et les explications de gens qui sont là sont très imprécises alors je pars sur un mauvais chemin – au bout de plusieurs centaines de mètres, le chemin devient une sente puis disparait. Je fais demi-tour, essaie un autre chemin, même punition. Après un beau « jardinage », je finis par retourner au refuge et me faire mettre sur le bon chemin. J’ai perdu 30 min et après 15 min de montée, je rattrape et dépasse John qui était reparti entre temps. Mon GPS a enfin retrouvé ses esprits. La montée au col Pousseuil est très raide et se termine par un passage avec des cordes. Il fait vraiment très chaud. Suivent un long passage à flancs de côteaux, une descente bien raide, une lègère remontée et la descente jusqu’au refuge Bonze. 15 min d’arrêt, un petit coca et ça repart pour la longue descente vers Donnas. 1.500 m de dénivelé négatif pour atteindre le point bas de la course et la deuxième base vie. J’alterne marche et course pour ménager mes pieds et mes quadris qui n’apprécient vraiment pas ce long passage. Et John me redépasse peu avant l’arrivée à cette deuxième base vie.

Il est 18h50 donc un peu tôt pour dormir, alors je fais un arrêt d’une grosse heure – douche, repas, réapprovisionnement piles et nourriture et à 20h c’est reparti.

Donnas – Gressoney St Jean : 61 km – 6580 m D+, 5.550 m D-

Le début est commun avec le Tor des Géants jusqu’au village de Sassa, 13 km interminables de petites montées descente avant une bonne montée à la fin. La (quatrième) nuit a démarré et le sommeil me tombe dessus – je m’endors littéralement en marchant. Je sais qu’il va falloir que je m’arrête, et je suis longtemps à la recherche d’un endroit adéquat. Très longtemps je ne trouve pas : humide ou trop pentu. Mon esprit divague totalement, le moral tombe proche de zéro sur le mode « mais qu’est ce que je fous là, pourquoi je me fais ça ! ». Je finis par trouver la terrasse d’une maison abandonnée, sors mon Bivvy (housse de survie), enlève mes chaussures  et me glisse dedans – je mets le réveil sur 15 min, le sac me sert d’oreiller. Le réveil sonne, j’ai l’impression d’être allongé depuis 1 min alors je me redonne 15 min supplémentaires. Je repars beaucoup mieux, même si ce n’est pas la super forme – j’espère tenir jusqu’au refuge Coda où j’ai prévu 2h30 de sommeil. Sporadiquement quelques coureurs du Tor des Géants me dépassent ; ce sont parmi les premiers– je discute un moment avec un coureur rencontré l’an passé sur la Swisspeaks.

A Sassa, les chemins du Tor des Géants et du Tor des Glaciers se séparent à nouveau. Je suis seul dans la nuit froide et le sommeil me retombe dessus. Je titube et je sais que la montée et surtout la traversée de crête ensuite vont être techniques, alors je me décide pour un autre arrêt d’urgence tant que le terrain s’y prête (un coin herbeux plat au bord du chemin) – impossible de tenir jusqu’à Coda. Je me glisse dans le Bivvy sans enlever les chaussures et je mets le téléphone sur 30 min, puis encore 20 min. Je sens que j’en ai besoin et je ne veux pas me mettre en risque. 

Bien m’en prendra car la suite du parcours jusqu’à Coda est très aérienne, avec une longue traversée de crête partiellement équipée de chaines, avant une dernière montée à nouveau commune avec le Tor des Géants.

J’avais prévu 8h sur cette partie et au final je mets plus de 11h en comptant les arrêts dodos. Et malgré ceux-ci, je suis exténué et je suis éprouvé mentalement. J’ai besoin d’un reset et je m’octroie deux heures d’arrêt, dont 1h30 dans le lit douillet d’une chambre du refuge où je suis seul. 

C’est royal et suivi d’un bon café et du soleil qui s’est levé, l’énergie est revenue.

Suivent 26 km communs avec le Tor des Géants, avec plusieurs petits cols, mais sans grosses difficultés techniques et maximum 500 m de D+ à chaque fois, et surtout, c’est balisé donc pas le besoin de concentration permanente pour s’orienter et il y a des ravitaillements très fréquents – genre tous les 5 ou 10 km. Donc c’est une impression de facilité – je profite de ces ravitaillements connus pour être excellents : polenta au fromage, viande grillée,… Dans la tente d’un de ces ravitaillements, je ferai une petit sieste de 10 min. Les valdotains qui tiennent ces ravitaillements sont super accueillants. La forme est revenue et je rattrape même des coureurs du Tor des Géants.  Je passerai un ou deux heures à faire route et à discuter avec un coureur belge.

J’arrive à Niel La Gruba vers 18:15 et je m’accorde 1h d’arrêt dont 30 min de dodo sous une tente. Pas très pratique car il y a des dizaines de supporters du Tor des Géants qui font sonner les cloches à chaque arrivée de coureurs, mais je veux éviter le scénario catastrophe de la nuit précédente.

Pour la montée au col suivant, les chemins des Tors se séparent à nouveau et nous avons le droit à une bonne montée de 1000 m et une bonne partie d’orientation, mais cela se passe bien. Je suis totalement seul, pas de lumière ni devant ni derrière et je me concentre sur mon rythme et bien sûr sur le chemin. Je me rends compte que j’ai retrouvé ma vitesse cible de 800m/h dont je m’étais écarté depuis le deuxième jour. Après avoir été durs les deuxième et troisième jours, les muscles ont régénéré – incroyable le corps humain !

Aucun souvenir de la descente qui suit – 1.200 m de D-. jusqu’à la base vie de Gressoney St-Jean, effectués de nuit sur un chemin à nouveau commun au Tor des Géants. En descente, le sommeil se fait généralement beaucoup moins sentir, la concentration est obligatoire pour ne pas y laisser une cheville. Très différent de la montée où plus facilement l’esprit divague et le sommeil tombe dessus comme une force irrésistible.

Base vie de Gressoney St-Jean, peu après minuit, grand plaisir de revoir mes parents qui sont fidèles au poste malgré l’heure tardive. Et colère contre l’organisation de la base vie qui n’accepte pas les assistants à l’intérieur. Compréhensible pour les concurrents du Tor des Géants au milieu du peloton, mais là le grand gymnase est totalement vide. Cette application ad absurdum de la règle par un chef de poste trop zélé est vraiment dommage, mais rien à faire. Je leur souhaite donc bonne nuit et bon retour, c’était notre dernier point de contact prévu – et les remercie bien sûr pour leur soutien précieux aux différentes bases vie. Vraiment réconfortant à chaque fois! Et je vais me coucher en passant par la case douche. Je demande un réveil dans 2 heures et ce sera malheureusement un mauvais sommeil : lit de camp très inconfortable, endroit trop froid – je m’emmitouflerai finalement sous 3 couvertures pour trouver le sommeil. Je sens qu’à cette base vie, tout est plus lent pour moi, je mets au reveil une éternité à manger, préparer mon sac,…. Il faut dire qu’il est autour de 3h du matin… que nous sommes dans la 5ème nuit et que j’ai dormi 7-8h en tout depuis le début.

Gressoney-St Jean – Courmayeur (l’arrivée!!) : 163 km – 12.960m D+, 13.115 m D-

Alors que je me prépare à repartir à 3h30 du matin, je tombe sur Sébastien qui est également en train de s’équiper, alors nous décidons de repartir ensemble. Nous ne le savons pas encore mais cette fois-ci nous ne nous quitterons plus. Nous montons en discutant – c’est un vrai plus d’être à deux, nous formons vraiment une bonne équipe car nous avons le même rythme et la même vision de la gestion des temps d’arrêt – d’autant plus que la nuit est froide et la montée au refuge Sitten est longue – elle nous prendra plus de 3h. 

Un accueil très chaleureux et une excellente tarte redonnent de l’énergie. Il est 7h et c’est le matin du 5ème jour !! Nous repartons du refuge Sitten avec un autre coureur. Suit la montée au col Bettaforca puis au col Bettolina Superieur (3.100m), ce sont des paysages minéraux d’une grande beauté ou vu autrement, un sacré pierrier très technique et casse-pattes sur la fin et sur le haut de la descente. 

1.200 m de descente interminable et nous arrivons après une légère remontée au refuge Ferraro où nous retrouvons un groupe de 7-8 coureurs en train de déjeuner, ce que nous allons faire à notre tour. Il y a là Marina, la première féminine, Raphael et Giancarlo que je ne connais pas encore mais qui ferons partie avec Sébastien et moi d’un quatuor mémorable pour la suite de la course. Nous nous retrouverons tous dans la longue mais magnifique montée au Col Supérieur de Cime Blanche où de jolis lacs de montagne se succèdent au sein de verdoyants alpages.

Nous avancerons tout l’après-midi sur une sorte de faux-rythme. Cela fait une pause et chacun discute avec chacun dans une bonne ambiance, mais c’est rudement peu efficace au niveau allure.  C’est assez surréaliste de se retrouver après 5 jours de course à un groupe d’environ 10 coureurs. Après le col nous arrivons sur les pistes de ski de la station de Breuil-Cervinia et faisons 9 km sur les pistes caillouteuses d’un paysage massacré – quel contraste avec la beauté de la portion précédente.

Nous arrivons finalement en fin d’après-midi à la station de Plan Maison, où le ravitaillement est dans l’énorme hôtel Stambecco en travaux. Nous sommes malgré tout parmi les premiers coureurs et je sens tout de suite que la préparation des repas n’est pas rodée. Plutôt que d’attendre, Raphael, Sebastien et moi, commandons notre repas pour dans 45 min et demandons à aller dormir. Nous nous retrouvons dans des chambres d’hotel – certes avec un bruit de travaux omniprésent, mais dans le confort de lits douillets, c’est royal, tout comme le repas qui suivra au restaurant de l’hotel. Les autres ont préféré attendre leur repas et somnolent dans les canapés de l’accueil de l’hotel lorsque nous repartons vers 19h30 à quatre avec Giancarlo qui fait route avec Raphael depuis un moment.

Raphael est un français installé à Madrid, Giancarlo un italien qui parle espagnol parfaitement et enchaine les courses – il a participé à la PTL 15 jours avant, et au Duo des Cimes en équipe avec Luca Papi la semaine d’avant la PTL. 

Nous partons sur un fort rythme, imprimé au départ par Raphael. Limite trop fort le bougre, il est à plus de 1.000 m/h de vitesse verticale, mais cela se stabilise vite autour des 850 m/h, ce qui est parfait. Puis nous nous relayons régulièrement pour cette traversée et montée extrêmement longues : 19 km et 1.600 m de montée. Une pluie fine, le froid, puis le sommeil, je me souviens de cette montée comme d’une torture. Tout seul, j’aurais dû m’arrêter en route pour faire un somme, mais là en groupe je m’accroche et cela passe. 

Nous arrivons finalement à 1h45 du matin au refuge Perruca Vuillermoz, perché à 2.900 m d’altitude et après une magnifique tartiflette accompagnée d’incroyables diots nous décidons de nous accorder 2h de sommeil. Deux coureurs italiens sont présents, que nous recroiserons souvent : Paolo et Pierro qui font route ensemble. Le sommeil est difficile après cette tartiflette dans un refuge trop chaud, et un bon café sera nécessaire pour relancer la machine. Notre arrêt durera 3h20 au total. Absolument nécessaire á ce stade de la course.

Suit une montée courte mais technique et aérienne avec cordes et échelles pour le col Valcornière (3.072m) suivi d’une longue descente dans les pierriers où l’orientation est difficile.

Je suis un peu dans le dur dans cette descente, mais cela revient peu à peu. Notre groupe fonctionne à merveille et nous atteignons le refuge Prarayer, 1.000m plus bas vers 7h45 pour le petit-déjeuner. Les assistants de Sebastien sont présents et son cousin Guillaume – physiothérapeute –  nous masse les jambes chacun notre tour pendant que nous avalons un copieux petit déjeuner – quel luxe !

Nous repartons ensuite tranquillement le long d’un lac en descente douce en discutant – un peu un faux rythme mais cela permet de se refaire la cerise.

Suit une lente remontée à flanc de coteaux sur 15 km jusqu’au refuge de Crete Séche que nous atteignons juste avant 13h – un rapide déj et c’est reparti pour un tronçon magnifique : d’abord la montée au Col du Mont Gelé – paysages extrêmement minéraux avec un bout de glacier en haut. C’est un des points culminants de la course à 3.172 m d’altitude.

En haut un guide sort de sa tente  et nous indique la direction : nous surplombons un immense chaos rocheux dans lequel nous allons devoir nous orienter. Il fait un petit bout avec nous puis nous indique la direction. Pas de chemin marqué mais des cairns pas évidents à trouver et très espacés. Je prends en main l’orientation avec Giancarlo en back-up et je dois dire que ça déroule plutôt très bien alors qu’il y avait un sacré potentiel de jardinage.

Après quelques kilomètres dans ce chantier, nous atteignons le bivouac Regondi qui marque un retour au monde plus civilisé : un chemin puis une large route forrestière et rechemin : sur 15 km qui paraissent interminables 1.000m de descente et 1.000 m de remontée jusqu’au refuge Champillon que nous atteignons à la lueur des frontales à 20:45. A noter sur cette portion : un concurrent qui s’était greffé sur notre groupe dans la partie orientation délicate nous dépasse en courant et nous le voyons au loin rater un embranchement et partir sur un détour de plusieurs kilomètres. 

Nous avalons un diner et allons nous coucher pour 1h30. Mais…au refuge Champillon nous rejoignons le parcours du Tor des Géants et les concurrents sont accueillis à coups de cloches. Et il y a souvent des concurrents. Et la pièce où nous sommes est surchauffée sans fenêtres. Impossible de fermer l’œil malgré la fatigue – extrêmement éprouvant pour le mental. Finalement au bout d’1h45 d’arrêt nous sommes repartis.

Le col Champillon est vite avalé et suit la longue descente vers la bergerie de Ponteille Dessot. Raphael serre les dents de manière très courageuse mais ses pieds sont douloureux et il souffre le martyre. A la bergerie un arrêt s’impose pour traiter le poblème – un secouriste, plus tôt dans la course, lui a emmailloté un début d’ampoule dans du pansement. Le pied a gonflé, s’est probablement infecté et difficile de tout retirer sans arracher la peau. 

Après 10 min d’essais infructueux, il prend une décision terrible à seulement 42 km de l’arrivée : l’abandon. Nous essayons de l’en dissuader mais nous comprenons après l’avoir vu souffrir que c’est le plus sage et acceptons sa décision la mort dans l’âme. Après les moments forts partagés, c’était devenu une évidence de terminer ensemble à quatre. Nous faisions une super équipe de quinquas ou quasi : niveau similiare, relais réguliers, même vision des durées d’arrêts et excellente entente.

Nous repartons sur un rythme très fort, comme pour aller chercher la meilleure place possible pour notre pote. Nous quittons peu après le tracé du Tor des Géants. Nous savons aussi qu’un tronçon d’orientation difficile suit et nous préférons éviter de faire l’orientation pour les quelques poursuivants qui ne sont pas très loins. D’ailleurs personne ne nous dépassera jusqu’à la fin.

Et effectivement la montée au Col Barasson Occidental est un passage vraiment chaud de la course : orientation compliquée mêlée à des passages extrêmement vertigineux. C’est d’ailleurs là que la première féminine Marina qui passera quelques heures après nous fera un roulé-boulé sur plusieurs mètres qui se terminera avec contusions et abandon à la clé, mais qui aurait pu terminer de manière bien pire. C’est là encore que dans la nuit de vendredi à samedi (après notre arrivée), il y aura une grosse tempête de neige et les secours chercheront plusieurs concurrents pendant des heures.  

Encore une fois, nous assurons sur l’orientation malgré la nuit et ne perdons pas de temps – J’avais lu dans les comptes rendus d’éditions précédentes de nombreux « jardinages » à cet endroit, alors nous restons super-concentrés – même pas d’endormissement malgré le milieu de la nuit, cela doit être l’instinct de survie – cela passe comme une lettre à la poste – l’équipe fonctionne à merveille. La redescente vers l’hotel Italia est une torture : traversée dans des herbes mouillées, les pieds sont trempés et douloureux. 

Il est 4h45 du matin et l’arrêt sera salvateur : 30 min pour un essorage de chaussettes et une bonne part de tarte avec du café.

Nous repartons euphoriques, il reste 30 km. Les 10 prochains jusqu’au refuge Frassati avec deux cols et en tout 1.000 de montée et 1.000 m de descente sont parcourus en 2h30. Nous montons à plus de 800m/h.

Un arrêt de 10 min au refuge Frassatti et c’est reparti – nous voulons en finir. Le col Malatra, mythique col du Tor des Géants, est vite avalé.

A partir de là, restent 18km, 750m de montée et 2.360m de descente – une broutille a priori après ce qu’on a derrière nous. L’euphorie de terminer ce monstre, avec des gars vraiment sympa et dans un classement qui me satisfait pleinement, devrait rendre la fin facile. Et bien de manière bizarre, le corps qui a répondu présent jusque là, lâche prise – les jambes font mal dans les montées, les pieds font mal dans les descentes. Je dois m’accrocher pour suivre les copains – notamment Giancarlo qui était plutôt en dernière position tout du long et gambade devant. Sa coéquipiére de la PTL – la championne Anouk Bars, est venue l’attendre et fait avec nous les 10-12 derniers kilomètres. Giancarlo qui était plutôt silencieux est devenu un moulin à paroles et les deux impriment un train d’enfer. Ils doivent m’attendre de temps en temps.

Cette dernière descente se fait donc dans la souffrance, mais les premières maisons de Courmayeur finissent par apparaitre et son ambiance folle, les gens qui applaudissent dans les rues et enfin la ligne d’arrivée que nous gravissons ensemble avec Seb et Giancarlo. Quel moment incroyable, quelle émotion et quelle camaraderie après presque 7 jours d’aventure dont plusieurs jours partagés! 

Nous cherchons Raphel des yeux pour le faire monter sur la ligne d’arrivée avec nous et partager ce moment et les photos officielles avec lui, mais il n’est pas là, ce qui nous intrigue. Epuisé, il dort peut-être, ou bien il n’a pas encore trouvé de moyen de locomotion pour rejoindre Courmayeur suite à son abandon?

Bière de l’arrivée, photos, médailles de finishers, coups de tél avec Anja, mes parents, les amis qui suivaient – un maximum d’émotion ! Et un grand merci à eux tous pour leur soutien et leur support – mention spéciale à Anja qui gère tout pendant la semaine d’entrainement et les 10 jours d’absence pour la course!

Nous finissons en 163h (soit 7 jours moins 5 heures) à la 15ème place !

De retour à l’hotel, je regarde les tableaux de suivi pour voir les coureurs encore en route et quelle bonne surprise : Raphael a finalement retiré son abandon et est en route ! Il devrait arriver tard dans la soirée. Alors on se donne rendez-vous avec Seb pour aller l’accueillir. Je mets un réveil avant de sombrer dans un premier sommeil, et à 23h quel plaisir d’accompagner Raphael sur les derniers mètres. Il n’avait pas de réseau à la bergerie où il avait abandonné et comme on était en pleine nuit, il a commencé par se reposer 2-3 heures. Et ensuite son pied avait un peu dégonflé alors il a décidé de repartir. Non sans douleur, mais il l’a fait – un vrai guerrier. Je suis vraiment content pour lui qu’il ait pu terminer, cela aurait été trop dur d’abandonner après 410 km…

Suit une journée de samedi marquée par du sommeil très nerveux avant un diner très sympa avec Seb, Rapha, Giancarlo et Luca Papi et sa famille, au camping où ils résident –nourriture typiquement valdotaine, simple mais excellente.

Et puis le lendemain, la fameuse cérémonie de cloture – tous les finishers sont appelés un à un sur l’estrade. Et nous avons le droit au podium par catégorie avec Seb et Giancarlo car nous sommes 2èmes de la nôtre (le premier étant le premier au scratch, l’impressionant Sebastien Raichon). Et trop sympa de revoir certains des coureurs rencontrés pendant ces 7 jours et partager nos expériences.

 J’aurai dormi au total 10-12 heures sur 7 nuits et je mettrai jusqu’au jeudi qui suit pour être à nouveau opérationnel et retourner au bureau. Premiére fois que la récupération au niveau du sommeil est si longue …

Une belle aventure sportive et humaine, aux limites physiques et mentales – que je referai très certainement dans les années à venir !

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